La satire italienne connaît ses meilleurs moments durant les périodes de forte tension morale, politique et sociale, périodes que l’on peut en estrême synthèse localiser en 1848-49 , à savoir les deux ans du Risorgimento,(lorsqu’on accorde finalement un espace à la liberté de presse), puis en 1870 (lorsque l’entrée des troupes italiennes dans Rome capitale ouvre non seulement la brèche de Porta Pia mais également la “questione romaine”,et met en discussion les pouvoir temporel des Papes), à la fin du siècle (lorsque le mouvement socialiste se caractérise de par une composante non secondaire fortement anticléricale) ainsi que dans l’immédiat deuxième après-guerre (lorsque ce allume la polémique entre les cléericaux et les anticléricaux avec une vigueur renouvelée et une âpreté esplicite reciproque)

Dans les années 1946-1950, ne négligeons pas les importans aspects psycologiques suivants: l’euphorie pour la liberté retrouvée des la fin du régime fasciste et de la guerre et la sensation de pouvoir s’exprimer sur les journaux sans contraintes et avec une sincérité jusqu’alors refoulée.

Ce n’est pas un hazard si, dans ces années-là naissent dans bon nombre de villes italiennes des dizaines et des dizaines des revues satiriques de diverse tendance.Certes la qualité laisse quelques fois à désirer, mais il est important de souligner le désire de pouvoir exprimer à haute voix des sentiments parfois minoritaires et anticonformistes, mais toujours dignes d’intérêt dans une nation libre.On disait que les journaux naissaient un peu partout, mais les plus significatifs d’alors virent les jour à Rome, siège des institutions républicaines et théâtre de la vie politique nationale.

C’est en effect les 12 septembre 1946, à Rome justement, que naît Don Basilio, la revue anticléricale la plus célèbre de l’époque, fondée par Primo Parrini, président des Messaggerie Romaines avec une première page (à vrai dire, un dessin de Michele Majorana qui habille en prêtre une caricature du Punch) qui porte l’inscription: “Hebdomadaire satirique contre les paroisses de toutes couleurs”. Il se peut que lorsque Parrini convoqua Michele Majorana, Ruggero Maccari, Furio Scarpelli et Italo De Tuddo pour leur proposer une revue anticléricale héretièr de la tradition de “L’Asino” de Podrecca et Galantara, il n’imaginait pas l’extraordinaire succès des ventes,quantifiables aux alentours de 250.000 copies dans les meilleurs moments,ni la réaction furibonde du Vatican qui, quelques semaines apres la naissance et cet hebdomadaire, décida une excomunication ad personam à l’égard de ces quatre mousquetaires.”Il Popolo”, organe officiel de la Democrazia Cristiana, avec à vrai dire un esprit peu chrétien, réserve aux rédacteurs de la revue Don Basilio les épithètes suivants:”immondes, crasseux, ipocrites, canailles, antidémocratiques, vils, bousiers”.

Le climat politique de l’année 1946 en Italie est surchauffé.

Le referendum institutionel a coupé en deux la nation et les anciennes oppositions explosent avec une violence inexplicable suite à la liberté retrouvée, mais avec également une certaine prédisposition italique au sectarisme.

Parmi les lecteurs de Don Basilio obtiennent un grand succès la rubrique du “Prêtre politicien” et les énormes titres avec lesquels le Journal accuse le Vatican de vol, de complicité avec le régime fasciste et d’exploitation des pauvres et des démunis. D’autres thèmes récurrents, à cinquante ans de distance mais sur le style de “L’Asino”, expriment en quelque sorte l’appétit gastronomique et sexuel excessif des ecclésiastiques, leur hypocrisie et une luxure mal cachée aux composantes pédophiles. Contrairement à “L’Asino”, il esiste egalement une forte attaque politique au parti de la Democrazia Cristiana et à ces hommes les plus representatifs de l’epoque, Alcide De Gasperi, President du Conseil, et Mario Scelba, Ministre de l’Interièur. On reproche en particulier à la Democrazia Cristiana sa contiguité avec le fascisme, sa sujétion à l’ègard du grand capital et, quand bien même de façon occasionelle, sa dépendance aux Etats Unis.

Une historiografie attentive pourrait enquêter de façon utile sur les motifs qui conduisirent, ne serait-ce que jusqu’aux èlections de 1948, à un succès éditorial inespéré et imprevisible.

Aujourd’hui, à distance de tant d’années avec une esprit serein et détachè on peut affirmer que, au-delà de certaines exagérations polemiques et certaines autres discutables, pour ne pas dire rustres, les argumentations anticléricales-les planches-en particulier celles de Majorana, sont très suggestives et efficaces et que le journal a exercé une action méritoire de denunciation, dans le silence trop craintif des organs d’information les plus influents, ces memes organes désireux de ne pas créer de problèmes a la classe politique dirigeante. Il suffit de penser aux scandals percés à jour, à ceux financiers de Monsignor Cippico, à ceux immobiliers de milieux proches du Vatican et à celui des bananas qui impliqua le parlamentaire demochretien Brusasca.

La même année, l’année 1946 a vu la parution de deux autres journaux anticlericaux, Il Pollo (Le Poulet) et Il Mercante (Le Marchand).

Le journal Il Pollo ne cache pas son sectarisme: «les prêtres sont chatouilleux, susceptibles, sectaires. Ils ne changerons jamais car ils ne peuvent, après deux mille ans, devenir tout a coup démocratiques et objectifs: nous aussi nous voulons devenir sectaires».

Le journal contient des planches particulèrment vives de Onorato, Barbara et Migneco, ainsi que d’amusantes rubriques dédiées a la bigoterie et au conformisme des fidèles «Pio Servio di Di» (Pieux Serviteur de Dieu) et «Chiese alla moda-domenica ore 12». (Eglises a la mode-dimanche 12.00 heures) ou au leader démochrétien Alcide De Gasperi trop désireux de congrégations ministérielles « La piccola posta di Alcide de Casteri » (La petite correspondance de Alcide De Casteri).

Le premier numéro est saisi, mais alors que le directeur responsable Ruggero Maccari est conduit devant un tribunal qui l’absout de l’imputation d’offense à la décense car les faits sont sans fondement, il le condamne en revanche por offense à la religion pour outrage aux ministres du culte.Après cette condamnation, le journal est suspendu, dans l’attente de la concession d’une nouvelle gérance. La concession tarde à arriver et la redaction, furieuse,fait sortir un numero unique «All’insegna del Pollo » (A l’enseigne du poulet). Malheuresement du poulet il n’y aura plus aucune trace.

Le 14 décembre 1946, avec Guido de Biase comme directeur responsable, sort dans les kiosques « Il Mercante» qui contient les planches de Leporini, Giammusso et Attalo. Ce dernier, copiant la célèbre rubrique du « Marc’Aurelio» présente un inédit «Le reverend qui avait dit aux amis».

Le ton du journal est combatif et cinglant: dans une lettre ouverte a M.Eugenio Pacelli le Pape déclare de façon péremptoire : « C’est nous qui, au nom de la liberté,vous excommunions très distinctement ».

«Il Mercante » partage avecles autres journaux anticlericales bon nombre de mésaventures judiciaires. Le premier numéro est saisi, mais la saisie n’invite pas pour autant à la prudence certains rédacteurs fougueux.

A côté des nombreux thèmes traités par la presse anticléricale, précédemment cités, émergent de façon particulière dans ce journal les fréquentes attaques a Francisco Franco, le caudillo espagnol indiqué comme le référent politique le plus apprécié au Vatican à côté du plus détesté, Alcide de Gasperi, et une nette position contre le Concordat et les faiblesses de la gauche socialcommuniste, qui, au cours de l’Assemblée Constituante, approuve, en accord avec les démochrétiens, l’art.7 qui affirme l’indissolubilité du mariage et constitutionalise le Concordat.

Véhémente et violente est la réponse aux journaux anticléricaux qui arrive de nombreuses revues proches de la Democrazia Cristiana et de l’extreme droite. Nous en citerons deux: «L’on.Palmillo » «Le Dèputè Palmillo» et «Il Rabarbar »

«La rhubarbe». 

«L’On.Palmillo» sous le même titre évoque immédiatement le deputé Palmiro Togliatti, leader du parti communiste itlien.Le premier numéro, sorti le 18 janvier 1947, se déclare comme un «hebdomaidaire satirique contre les vendus de toutes couleurs».

Les cibles préférées sont les communistes de Togliatti et les journalistes de la revue «Don Basilio», accusès de pornographie et d’opportunisme méprisant: «Ceux qui aujourd’hui diffusent l’idée communiste ont mangéles miettes à la cantine fasciste et ils ont par la suite ciré les bottes aux americains, nettoyé les pipes aux anglais et vendus des cartes pornographiques aux noirs»

«Il Rabarbaro», hebdomadaire effervescent,antitoxique et depuratif, contient les planches de Camerini, Roveroni et Freccia et reprend avec ironie, en les exaspérant jusqu’au paradoxe, les omages des journaux anticlericaux, tout en imaginant une vague fantomatique de terreur religieuse, dénoncée dans le «discours hilarant de Palmiro a Livorno».

Directe est la polémique avec «Il Mercante» dont nous avons cité la lettre ouverte a Monsieur Eugenio Pacelli. Dans l’article de fond, au titre significatif «Cloaque maximum», les rédacteurs du journal défendent le Pape, en rappelant certains comportements courageux durant la guerre et en accusant les journaux anticléricaux de vouloir une guerre religieuse qui serait funeste pour la fragile démocratie italienne.

Une planche de Freccia, avec la synthèse essentielle qui caractérise la satire politique commente: «Quels fous rires !Quatre vers à l’assut de l’Eglise» en identifiant les vers en question dans les journaux «Don Basilio », «Il Pollo»,

«Il Mercante» et «Cantachiaro».

Est également significative l’attaque aux massons et aux protestants, expressement cités comme ennemis de l’Eglise Catholique et agitateurs d’une querelle religieuse, considérée comme dépassée. Plus ironique esr enfin la rubrique qui propose les blagues de Bruniano Mangiapreti, un comuniste activiste qui ne perde pas une occasion pour attaquer, meme physiquement, les prêtres, les églises et les oratoires, mais qui justement finit toujours bafoué par La Rhubarbe.

Ce conflit fèroce entre les journaux cléericaux et anticléricaux est aussi violent que e brève durée: le parti communiste, non oublieux du grand nombre de catholiques pratiquant dans l’Italie du deuxième après-guerre, prend rapidement les distances vis à vis des journaux anticléricaux qui épuisent, tout aussi rapidement, leur impulsion propulsive, tout en ôtant également espace et arguments aux journaux concurrents de tendence phylocléricale.

Au debut des années cinquante, la situation politique apparaît normalisée: la démocratie chrétienne assume toutes les positions de pouvoir, le Parti Communiste Italien exerce son role d’opposition démocratique, avec un certain égard vis à vis des masses populaires catholiques et la ferveur anticléricale est reléguée et maintenue en vie dans des groupes élitistes d’orientatin laico-républicaine restreints, intellectuellemnt appréciables mais sur le plan politique tristement insignifiants.

Bergamo, Italia